Préambule

En préparant cet hommage, j’ai eu le plaisir de découvrir l’œuvre de François Prieur, le plaisir aussi de découvrir un homme de qualité. Nous avons parlé de lui autour d’un déjeuner auquel sa femme Dominique m’a convié dans sa propriété de Milon la Chapelle dans la Vallée de Chevreuse.

Dominique Prieur avait réuni François La Fonta, Rachid Halaoui et Nicole Bataille qui ont longtemps travaillé avec François Prieur en France et au Maroc. Tous m’ont aidé à préparer cet hommage.

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Ceux qui ont connu François Prieur parlent d’un architecte sensible et talentueux, doublé d’un homme de terrain pragmatique attaché à la dimension humaine des projets.

« François était un homme gai et plein de fantaisie, très humain mais très pugnace, dit Eugène Lezeney . Quand il était architecte conseil de la Manche, nous avions noué une solide amitié. Ami d’artistes, il avait le goût de la beauté et un grand intérêt pour les savoir-faire artisanaux susceptibles de déboucher sur des innovations techniques. Par ses engagements tout au long de sa vie et de sa carrière d’architecte urbaniste, dans son rôle de conseil, il faisait partie de ces êtres dont on a besoin car ils apportent des effluves… Un jour, après un concours truqué, faisant fi de l’obligation de réserve, il est parti en guerre contre le président du Conseil général. Aux élections suivantes, ce dernier a été battu.

François adorait les buis. Il m’a donné des graines que j’ai plantées dans mon jardin. Ce buis, j’y tiens beaucoup. »

François Prieur est né le 29 décembre 1921 à Paris IV è. Nommé membre de l’Académie d’Architecture le 4 juin 1987, il est décédé en février 2002.

Sa vie durant il s’est engagé ; par son travail d’architecte et d’urbanisme dans les villes en devenir de l’Ile de France ou du Maroc, en militant toujours près à soutenir un projet, comme maire de Milon la Chapelle et co-fondateur du parc naturel de la vallée de Chevreuse. Père de trois enfants, il avait aussi adopté une petite laotienne réfugiée politique.

Entrée à l’Atelier Lecomte de l’Ecole des Beaux Arts après la guerre, il fréquente les conférences de Le Corbusier à une époque où tant d’étudiants préfèrent les fastes du concours de Rome. C’est lui qui sollicitera Pingusson pour qu’il monte un atelier à l’Ecole. Parallèlement, il gagne sa vie en travaillant chez un jeune patron, Claude Meyer Levy qui deviendra un ami.

En 1950, après son diplôme, il participe à la reconstruction en tant qu’adjoint de Georges-Henri Pingusson qui est alors architecte en chef du département de la Moselle (c’est l’époque où Pingusson construit plusieurs églises et participe aux plans d’urbanisme de Metz, Sarreguemines et Brey où il invite Le Corbusier à construire une unité d’habitation). Ce sont pour Prieur des années très formatrice et il conservera toujours la photo de Pingusson sur son bureau. François Prieur reconstruit le village sinistré de Walwis . Le contact avec le monde rural est brutal . Dans ce village, l’un de ses clients qui avait du mal à renoncer à sa cabane au fond du jardin tente de le tuer à la hache parce qu’il voulait lui installer des WC à l’intérieur. C’est aussi à cette époque que François Prieur commence à s’intéresser au logement social dans le cadre du mouvement Castor notamment.

De 1955 à 1961, il dirige pour le Ministère de la Construction l’Atelier d’Urbanisme du Service d’Aménagement de la Région Parisienne qui deviendra l’IAURIF. Il dresse les plans des principaux développements urbains de la Région Ile de France intervenant sur près d’une centaine de communes à Mantes et dans la vallée de Chevreuse notamment.

De 1963 à 1979, François Prieur réalise en tant qu’architecte en chef et en association avec Robert Camelot le plan de la ville nouvelle des Ulis dans l’Essonne (35 000 habitants). Prieur y travaillera pendant de longues années, réalisant en tant qu’architecte les opérations les plus signifiantes : poste, école, centre commercial, chaufferie, etc.

Les Ulis, dira-t-il, « c’était un combat quotidien contre les techniciens buttés dans leur technique et les politiciens rétrogrades. Au bout de dix ans d’efforts, je serai battu par le fric en la personne de Balkany…Morne consolation, les Ulis sont considérés comme le moins mauvais des grands ensembles. »

En 1960, il dresse les plans d’urbanisme d’Angoulême et de la Rochelle.

En 1968, il démissionne de ses fonctions à la Société Française des Urbanistes pour laisser la place aux jeunes. Son exemple est applaudi, mais peu suivi.

En 1972, il devient architecte conseil du ministère de l’Equipement.

Entre 1975 et 1980, il est chargé de diriger la rénovation du plateau de Vanves.

En France, François Prieur a construit beaucoup d’équipements publics, notamment des écoles, un domaine qui lui était pour lui un sujet de recherches typologiques.

S’y ajoute de nombreux ensembles de logements pour des maîtres d’ouvrage publics ou privés. Point commun de ces travaux : une sobriété d’écriture, une rigueur constructive et le soin apporté au traitement des détails. Intervention d’artistes, détails de pavement, traitement paysager. Quand il voyageait, mais aussi en vallée de Chevreuse, Prieur prenait des photos de paysages et de détails d’architecture qui témoignent de ses préoccupations et les choses auxquelles il était attentif se retrouvent dans ses projets. Il faisait des herbiers, des croquis au pastel gras et travaillait souvent avec le sculpteur Philolaos.

De toutes ces réalisations, l’hôtel de ville de Grande Scynthe dans le Nord (1987) était l’une de celles auxquelles était le plus attaché.

« Réapprendre à trouver le chemin de la maison commune était le profond désir du premier magistrat de Grande Scynthe quand il demanda aux architectes de dresser le plan de son nouvel hôtel de ville, précisa-t-il. Le beffroi devait à la fois perpétuer les anciennes traditions des cités des Flandres, mais aussi devenir le centre des émissions de relais télévisuel. »

Dans le fonds d’archives Prieur, nous avons retenu quelques croquis d’études montrant l’évolution de la réflexion de l’architecte. Du croquis à la réalisation, ce projet est particulièrement représentatif de la méthode de travail qu’il appliquait à ses projets. Il concilie le soin apporté au détail et à la construction et une intégration fine de l’équipement dans la ville.

L’ALGERIE ET LE MAROC

De 1972 à 1989, parallèlement à son activité en métropole, François Prieur a travaillé en Algérie et au Maroc.

Entre 1970 et 1975, le ministère de l’intérieur algérien lui confie le contrôle des projets concernant les nouvelles préfectures. Il y réalise le plan d’urbanisme de plusieurs villes et des bâtiments publics.

En 1972, au Maroc, il est chargé d’étudier l’urbanisation de la côte méditerranéenne dans le secteur de la Restinga pour le ministère du tourisme et il y réalise un équipement sportif.

Entre 1980 et 1987, il est appelé par Michel Pinseau, architecte du roi Hassan II pour établir le schéma directeur d’aménagement urbain de Casablanca et l’étude de rénovation de l’ancienne médina. A Casablanca, l’étude réalisée dans le cadre du schéma directeur intégrait une ceinture verte. Dans le quartier d’Anfa, il s’agissait d’amorcer l’urbanisation future en implantant des équipements et en dessinant les principaux espaces urbains.

En 1983, il réalise le complexe administratif d’Ain Chock et l’étude de la ville nouvelle de Nassim – Ain Chock (120 000 habitants)

La préfecture d’Ain Chock s’inscrit dans le cadre d’un projet plus général de réorganisation et de contrôle de la ville avec des préfectures délibérément surdimensionnées. Elle est située au Sud-Ouest de la ville, sur la route menant à l’aéroport, dite « route des préfectures » puisqu’elle relie la préfecture d’Ain Chock à celles de Ben m’sik et d’Ainseba construites par Marty et Deneuil.

Des colonnades dessinent l’espace et mènent tout doucement aux salles du conseil où siège l’autorité.

Au Maroc Prieur a aussi réalisé le plan d’urbanisme des communes de : Hay Hassani, Dar Bouazza, Sidi Belyout, Bouskara et Hay Mohammedi.

Entre 1987 et 1992, c’est le schéma directeur de la ville de Fes qui l’a mobilisé, Rachid Halaoui étant alors son collaborateur. Ce schéma prévoyait le développement de l’agglomération pour 20 ans en décrivant ses modes opératoires. Selon les plans établis par François Prieur, une liaison Est-Ouest dessert la medina. Une rocade périphérique évite le transit à travers la ville et des coupures de verdures pénètrent dans le tissu urbain. L’extension est rigoureusement stoppée au Nord et à l’Est.

Sur la période marocaine, François la Fonta nous apporte aussi un témoignage. Il a été le chef d’agence de François Prieur au Maroc entre 1982 et 1984 quand celui-ci travaillait sur les études de la préfecture d’Ain Chock au Sud Ouest de Casablanca et qu’il participait à l’élaboration du schéma directeur de la ville dans le cadre de l’équipe montée par Michel Pinseau. « François Prieur qui était un homme d’une grande modestie et très pragmatique. Ce qui frappe chez lui, c’est l’absolue cohérence entre son mode de vie et son travail. Il établissait toujours un rapport simple avec l’objet à traiter. Au Maroc, il s’efforçait toujours de projeter des choses possibles, conscient que dans les pays du Maghreb, les états n’ont pas toujours les moyens de les logements. Pour lui, le rôle de l’Etat consistait à construire les équipements, puis à contrôler l’ auto construction qui s’avérait inévitable. Il avait fait sienne cette phrase du philosophe Mohamed Salem Mafkya : « L’homme a depuis toujours construit sa propre demeure. Aussi, je ne vois pas pourquoi il ne serait plus à même de le faire aujourd’hui ! Tout ce dont il a besoin, c’est d’une infrastructure. A l’Etat de la lui assurer, surtout quand son initiative s’inscrit dans le cadre d’un projet collectif. » « François Prieur avait cependant conscience que cette méthodologie opérationnelle pouvait décevoir les attentes d’hommes politiques plus facilement séduits par des approches plus complexes empruntées aux systèmes du monde occidental. »

François Prieur militait en faveur d’un « urbanisme proche des gens » En Algérie comme au Maroc, face à l’urgence et au manque de moyen, il ne pouvait être question pour lui d’élaborer des schémas généraux longs et coûteux à mettre en œuvre. Ses longues années d’expériences l’avaient conduit à élaborer une méthodologie d’urbanisme opérationnel relativement simple à mettre en pratique grâce à l’importance accordée au contact direct avec le terrain de ses interventions. Après une première phase d’études en relation avec les autorités de tutelles, il était très vite capable d’élaborer des plans d’urbanisme directement sur le terrain avec les responsables des communes et d’assurer le contrôle ou l’évolution de leur mise en oeuvre. L’essentiel consistait pour lui à proposer un système d’intervention qui permette aux autorités responsables de contrôler le développement des villes en l’absence de moyens très importants et cela, tout en conciliant les impératifs de développement national et celui de petites unités urbaines.

François Prieur se préoccupait du cadre de vie des populations dans leur milieu d’origine. Compte tenu des modes de vie locaux et des moyens limités, la médina était pour lui une forme urbaine de l’avenir et non pas du passé, d’où sa volonté de travailler quartier par quartier en créant des murs d’enceintes et d’intégrer les espaces verts et les équipements dans lees quartiers et des jardins familiaux. Son travail de recherche sur les nouvelles médinas intégrait toute une typologie de voies économiques bien codifiées et très opérationnelles.

Associant croquis d’études et photos, une présentation de diapositives issue du fond d’archives François Prieur à l’IFA a accompagné cet hommage.

1- François Prieur à la Préfecture d’Ain Chock

2- Vue d’ensemble de la préfecture

3- Salle d’honneur et de conférence de la préfecture vue des jardins

4- Pavillon de la première pierre sur l’esplanade de la préfecture

5- Cour d’honneur

6- Vue de l’aile du gouverneur depuis les jardins

7- Travail artisanal, tapis de zélige sous les arcades de la cour d’honneur

8- Hôtel de police

9- Escalier d’angle

10 à 13 –Croquis d’ensemble et détails de la préfecture d’Ain Chock

14 – Belebat : expérience de logements en castorat

15 –Les Ulis

16 –Logements aux Ulis

17 et 18 – Travail de recherche sur des programmes d’équipements scolaires, aux Ulis notamment

19-Maquette des Ulis

20-La chaufferie des Ulis

21-Croquis d’étude de la maison communale de Grande Scynthe.

22 à 25 – Grande Scynthe, maison communale.

26- Image tirée d’un carnet de croquis de François Prieur montrant une fleur séchée collée sur un herbier et une esquisse de plan masse pour l’aménagement d’un quartier.

27 –Croquis d’étude habitat individuel en bande.

28-Croquis pour un immeuble d’habitation au Trocadéro.

Des extraits de textes d’Eugène Lezeney, de Rachid Halaoui, de Claude Meyer Lévy et de François La Fonta évoquant François Prieur ont aussi été lus.

Bernard DESMOULIN