Hommage à Roger LAMOISE, Architecte (1926-1995)

par Daniel KAHANE

Mesdames, Messieurs, mes Chers Amis et Confrères,

C’est pour moi un grand honneur d’être reçu dans cette vénérable Académie d’Architecture et je remercie tous les membres présents de m’accueillir parmi eux.

Vous m’avez demandé de rendre hommage à notre regretté confrère Roger LAMOISE, disparu l’année dernière.

J’ai un peu connu Roger LAMOISE pendant les dernières années de sa vie, lorsqu’il était inspecteur général et Président de la Compagnie des Architectes des Bâtiments Civils et Palais Nationaux.

Il déploya pendant quelques années au service de la Compagnie une énergie et une détermination peu communes dans une période difficile puisqu’elle correspondait à la suppression du Service et la mise en extinction du Corps des Bâtiments Civils et Palais Nationaux.

Il rédigea en 1992 un ouvrage bien documenté s’intitulant “LE STYLE DE LA FRANCE” quatre siècles et demi d’architecture publique en France ; préfacé par Henry BERNARD.

Dans ce livre il retrace l’histoire du Service des bâtiments publics depuis François 1er jusqu’à aujourd’hui, il analyse avec lucidité les causes de sa disparition, et il exprime sa révolte face aux agissements des divers gouvernants déterminés à faire disparaître le service ; révolte qui, à mon avis était inutile et désespérée devant les forces évolutives de la société ; révolte qui lui laissera un fort goût d’amertume, ainsi qu’à toute sa génération d’architectes en chef des Bâtiments Civils et Palais Nationaux, frappés dans leurs tâches et dans leur dignité.

En relisant ce livre récemment, j’éprouvais une certaine émotion devant la passion de Roger LAMOISE pour son métier et notamment pour l’architecture publique à laquelle il a consacré toute sa vie.

Fils d’architecte, Roger LAMOISE est né le 14 Juillet 1926 à Nancy, où il passe son enfance et sa jeunesse ; jeunesse sans doute pas très joyeuse car c’était pendant les années de guerre et d’occupation.

En 1944 il vient à Pans et il fait de brillantes études à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts dans l’atelier d’Expert où il reçoit de nombreuses récompenses comme le Prix Redon et le Prix des Anciens jusqu’à devenir à deux reprises logiste du Concours de Rome en 1952 et en 1953. lI obtient son diplôme d’architecte en 1952 avec la mention Bien.

Mais ce qui est remarquable dans la carrière de Roger LAMOISE, c’est que dès cette époque il manifeste une ouverture d’esprit pour d’autres disciplines que l’architecture et un intérêt particulier pour la chose publique au point de suivre les cours de l’Institut d’Urbanisme de Paris de 1951 à1954. Plus tard en 1958 il s’inscrit à l’École des Sciences Politiques de Paris puis au Centre des Hautes Etudes Administratives où il obtient un brevet en 1960.

Dans le même temps il passe en 1959 le concours d’Architecte en Chef des Bâtiments Civils et Palais Nationaux et est reçu premier.

On ne peut mieux décrire la curiosité et l’énergie d’un homme qui a 34 ans cumulait ainsi des titres aussi divers que complémentaires à la suite d’années de formation bien remplies.

Mais ce qui est encore plus étonnant dans la carrière de Roger LAMOISE c’est la rapidité avec laquelle il est entré dans la vie active, ce qui nous laisse un peu rêveurs aujourd’hui, tant sont difficiles les débuts des jeunes architectes.

En effet, dès 1950, encore étudiant, il collabore avec l’architecte Jean BOURGON à Nancy et remporte en 1952, à 26 ans, le 1 prix avec exécution du concours pour le Centre de Rééducation Fonctionnelle de Nancy. Ce sera sa première oeuvre qu’il terminera en 1955 et le début d’une carrière bien remplie en constructions publiques.

En 1956, il reprend le Cabinet de Jean BOURGON au 6 Cours Léopold à Nancy et s’installe dans le vaste bureau, haut sous plafond, couvert de grandes bibliothèques. C’est là, pendant près de vingt ans, à la tête d’une quinzaine de personnes qu’il va mener de nombreuses et importantes réalisations. La France est en plein développement économique et connaît une période d’urbanisation et d’équipement extraordinaire qui va profondément modifier son paysage et son mode de vie. La liste des réalisations de Roger LAMOISE reflète bien cette époque, elle est telle qu’il n’est pas question de tout citer rappelons simplement qu’elle touche à tous les domaines de la construction, de l’aménagement et de l’urbanisme et citons particulièrement :

  • dans le domaine hospitalier l’hôpital de traumatologie de Nancy, la maison de retraite Notre Dame de bon repos à Maxeville, l’hôpital de Pompey et le centre de recherches de médecine préventive et sociale de Meurthe et Moselle, obtenu sur concours ;
  • dans le domaine scolaire et universitaire : le lycée technique de Longwy, l’école professionnelle d’adultes de Nancy, le laboratoire de Géotechnique de la fac des sciences de Nancy, la cité universitaire du parc de Saurupt et celle du clos de Médreville avec Jean-Marie COLLIN ;
  • dans le domaine administratif : le centre de la sécurité sociale de Nancy et la nouvelle cité administrative de Nancy Haussouville ;
  • dans le domaine culturel : un 4ème prix au concours pour le palais de l’air et de l’espace à Paris en 1967 avec J.M. COLLIN et plus récemment en 1980 le premier prix avec exécution de la Bibliothèque Centrale de Prêt à Colmar
  • par ailleurs il réalise de nombreux ensembles d’habitations comme les 3.000 logements de Champ le Bœuf à Nancy et des bâtiments d’activités comme le centre pétrolier et le siège du Crédit Lyonnais à Nancy ainsi que des équipements sportifs comme la piscine olympique de Nancy avec COLLIN et ROYER.
  • et enfin il œuvre en tant qu’urbaniste ; on lui doit notamment le plan d’urbanisme de Cahors et les plans d’aménagement des régions Limoges- Vallée de la Vienne et Agen- Moyenne Garonne. Son attachement à cette discipline était très fort et il fut secrétaire général de la société française des urbanistes de 1962 à 1966 puis vice- président en 1966 et 1967, et vice-président de l’association internationale des urbanistes en 1965.

Mais au début des années 70, l’agence connaît quelques déceptions ; comme beaucoup d’autres à cette époque première crise pétrolière, réduction des commandes, loi sur l’ingénierie, généralisation des concours. En 1976, âgé de 50 ans et toujours animé de la même énergie, Roger LAMOISE laisse son agence de Nancy à Philippe ROYER, son principal collaborateur devenu son associé depuis quelques années.

Il s’installe avec toute sa famille à Colmar, dont sa femme est originaire. Et là dans la petite agence qu’il a recréée au rez-de-chaussée de sa maison, il va se consacrer essentiellement aux Bâtiments Civils et Palais Nationaux. Il a la responsabilité de l’entretien de 75 bâtiments publics en Lorraine et en Alsace. Il réalise les surélévations des Palais de Justice de Strasbourg puis de Mulhouse, la Restauration du Palais Episcopal de Strasbourg, et se fait particulièrement remarquer pour la remise en état et le nouveau circuit de visite du Château du Haut-Koenigsbourg ; cette Œuvre lui vaudra la médaille de bronze de l’Année du Patrimoine en 1980.

Mais son activité ne se limite pas aux Bâtiments Civils et Palais Nationaux ; il continue à construire à Colmar des logements et quelques équipements publics : Bibliothèque Centrale de Prêt, Tribunal de Grande Instance, Centre d’orientation et d’action éducative, et à Strasbourg il aménage la nouvelle salle d’essai du Théâtre National.

Il est également Expert auprès de la Cour d’Appel de Colmar à partir de 1977 et réalise environ 120 expertises pour les Tribunaux de Colmar, Strasbourg, Mulhouse et la Cour d’Appel de Colmar.

En 1984, il quitte Colmar et revient s’installer dans la région parisienne, à Gentilly, où il termine sa carrière comme Inspecteur Général des Bâtiments Civils et Palais Nationaux.

Tous ceux qui l’ont connu au cours de sa vie m’ont parlé de lui comme d’un homme au contact agréable et d’un bon compagnon, aimant les échanges et la discussion.

Il était d’une nature simple et généreuse et il avait plusieurs passions en dehors de son métier tes livres, la gastronomie, sa famille et sa maison de Lourmarin.

Il a connu Lourmarin très jeune, à 19 ans, car il a été pensionnaire de la fondation Robert Laurent VIBERT au Château de Lourmarin. li s’est attaché à cette région et dans une magnifique pinède située au pied du Lubéron, il s’est construit une belle maison. Aidé de sa femme et de ses quatre enfants, il a tout fait de ses propres mains en travaillant tous les étés pendant une dizaine d’années, de 1965 à 1975. Je ne connais pas cette maison mais son fils Henri m’a montré quelques photos : la maison s’organise autour d’un joli patio, la façade palladienne fait face à un beau jardin d’inspiration arabe composé autour de l’eau qui s’écoule dans une fontaine puis une piscine et se termine en cascade devant un paysage de rêve.

C’est bien la maison de quelqu’un qui aimait les plaisirs de la vie. Et qui fait comprendre son goût pour la gastronomie et les vins, li avait une bonne cave et faisait partie de nombreux clubs confrérie des Tastevins, chaîne des Rôtisseurs, Club Prosper Montagnier. Il a d’ailleurs écrit un livre de gastronomie consacré à Prosper Montagnier, cuisinier du début du siècle.

Car il aimait écrire et surtout il aimait la lecture. Il était bibliophile et collectionnait les vieux livres.

Et c’est là son trait de caractère le plus frappant : sa forte volonté et sa grande curiosité l’ont conduit à acquérir dès sa jeunesse une vaste culture qu’il a élargi toute sa vie.

Roger LAMOISE était Chevalier des Arts et des Lettres et Chevalier de l’Ordre du Mérite. Membre depuis 1985 de l’Académie d’Architecture, il n’était plus très assidu car pendant ces dernières années il aimait séjourner dans sa maison de Lourmarin.

C’est là qu’il s’est éteint le 13 Août 1995 à l’âge de 69 ans, en ne laissant que des regrets autour de lui, au terme d’une vie d’architecte et d’homme accomplie.

Mesdames et Messieurs, merci.

Daniel KAHANE