Extrait de l’hommage rendu à Hans Scharoun

par René Gagés, le 5 février 1987

J’ai rencontré Berlin en 1956 (…).

Ville des Maîtres de l’Architecture Moderne, Berlin fut particulièrement après la guerre, la ville de Scharoun.

Evoquer Hans Scharoun, c’est évoquer un inconnu (…). En effet, comment la nature d’une œuvre aussi originale peut-elle demeurer pratiquement ignorée en France par la majorité des architectes ? Il faut attendre 1968 pour trouver dans « Architecture d’Aujourd’hui » une publication de ses principaux travaux (…).

En 1919, Gropius fonda à Weimar le Bauhaus. C’est en 1925 le BAUHAUS de Dessau pour lequel Gropius construit le célèbre bâtiment que nous connaissons (…).

Hans Scharoun demeura en marge de ce mouvement qui était également une école.

En 1930, c’est sa participation remarquée aux côtés de Gropius, Hugo Haring et d’autres à la SIEMENSTADT, la ville de Siemens (…).

En 1933, après le départ pour les Etats-Unis de Gropius, Mendelssohn, Mies Van Der Rohe et d’autres, Scharoun demeure seul à Berlin.

Il a alors 44 ans et est au seuil de sa carrière.

Comme d’autres créateurs allemands, il se trouve privé de toute possibilité de réalisation, de toute activité par le régime nazi. Reclus dans son quartier de Siemens, en solitaire, il dessine, il crée (…).

Dès la capitulation allemande en mai 1945, Scharoun fut nommé Baudirector de la ville de Berlin.

Dans la diversité des tendances, la notion d’architecture organique était en Allemagne étroitement associée à l’œuvre de Hans Scharoun et Hugo Haring. L’interprétation que donne Scharoun de l’architecture organique est non seulement différente de Wright mais surtout très personnelle (…).

Les écrits de Scharoun et surtout les conversations que j’aies eues avec lui m’éclairèrent sur sa conception des choses d’autant que nos premières rencontres remontent à l’époque de la construction de sa philharmonie de Berlin (…).

Quand il affirme que la forme d’un objet doit être trouvée dans sa substance, il refuse donc de donner une forme à priori à son architecture, de la définir de l’extérieur (…).

La philharmonie de Berlin, cette œuvre qui l’a fait connaître du grand public, exprime magistralement sa conception des choses. Avec la philharmonie, Scharoun avait deux soucis. Le premier, faire disparaître la barrière traditionnelle entre musiciens et auditeurs-spectateurs. Le second, obtenir une qualité unique de place.

Ces deux principes simples et évidents vont dicter tout un ensemble de choix architecturaux qui font l’originalité de cette œuvre (…). 2 200 auditeurs-spectateurs sont disposés en unités d’écoute réparties tout autour de l’orchestre sur des plans situés à des niveaux différents. L’orchestre focalise l’attention, mais l’espace qu’il occupe est dégagé de toutes références symbolique. Ceci conduit Scharoun à limiter autour de 300, le nombre d’auditeurs-spectateurs par unité d’écoute. L’emplacement de la scène, la configuration de la salle et le traitement très élaboré du plafond conçu comme une toile de tente rigide ont permis d’obtenir cette remarquable qualité acoustique reconnue et pratiquement semblable pour tous les spectateurs (..

Avec la philharmonie, Scharoun a fait autre chose qu’une excellente salle de concerts. Si l’orchestre en est l’élément principal du point de vue optique – s’il est au centre de l’équilibre, au centre de gravité de l’espace, il n’est pas au centre géométrique de la salle. Là on touche à l’essentiel de sa pensée, c’est-à-dire le dynamisme de l’espace intérieur. Alors tout devient mouvement. Cette dynamique détermine la configuration interne et externe de la salle et de

l’ensemble de la philharmonie (…). Les accès à cette salle, les circulations sont pour Scharoun, comme dans la plupart de ses réalisations, l’occasion de mettre en œuvre la grande maîtrise qu’il a des espaces.

Voilà pourquoi la philharmonie n’est pas un objet, ni une organisation savante mais un « organisme » dans le sens d’organisme vivant. Sa forme n’est pas figée, on peut aisément greffer des organes sans que l’ensemble se détruise (…).

Malgré cela il demeure en marge du monde. Est-ce le trait de parenté avec Wright ? Après la première guerre mondiale Wright était a un tel point isolé aux Etats-Unis qu’il était bienséant de ne pas citer son nom « comme le faisait remarquer en 1919 Bruno Taut l

Est-ce là le destin de Hans Scharoun ?

Le destin de cet homme qui fut et demeure le solitaire, hors des Ecoles.

René GAGES