Hommage à Jean Dimitrijevic (1926-2010)
Monsieur Le Président, chers amis, chers confrères et consoeurs,
C’est un grand honneur pour moi d’être accueillie parmi vous, à l’académie d’architecture, et de rendre un hommage ce soir à Jean Dimitrijevic.
En introduction il me tient à cœur de rappeler que Jean Dimitrijevic, que ses amis appelaient
Jocà (prononcer Yotsa), appartenait à cette génération d’hommes qui eut à s’engager dans la défense de son pays : soldat volontaire dans l’armée française, il reçu à la fin de la guerre, la croix de combattant 39-45, la croix des anciens combattants de l’Europe, et il adhéra à l’union nationale des combattants à partie de 1966.
Le maître et l’élève
Nous ne pouvons lui rendre hommage, sans revenir sur la période de la reconstruction.
Lorsque J.Dimitrijevic obtient son diplôme d’architecte urbaniste de l’école Nationale des Beaux Arts de Paris en 1957, son chef d’atelier est Guy Lagneau (1915-1996) qui avait participé au montage du Pavillon des Temps Nouveaux pour l’exposition Internationale de 1937 et suivit les conseils de Le Corbusier en fondant le troisième atelier Perret.
Entre Lagneau et Dimitrijevic, la relation est d’abord celle du maître et de l’élève, mais l’ampleur des œuvres réalisées et les décennies de collaboration, nous permettent de parler de destins croisés. Crée par Guy Lagneau et Michel Weill, l’atelier d’architecture LWD fut actif de 1952 à 1987 ; Jean Dimitrijevic y travailla dès 1947 puis il devint le troisième associé et fut toujours considéré comme le jeune du trio. Il s’envola en 1959 pour une année d’études au département d’architecture du MIT.
LWD, la démarche et les moyens
Ces trente années de collaboration remplies de prix et de récompenses, s’organisèrent sous différentes formes, de l’atelier traditionnel aux sociétés d’architectures (ATEA, Setap, Aart-setap). L’objectif affiché demeurait celui d’offrir aux clients privés comme à l’état, une maîtrise complète des processus de conception et de réalisation dans une démarche qui pensait l’architecture et l’urbanisme comme un tout. L’apport des recherches menées par l’historien Joseph Abram au sujet de l’atelier LWD est très éclairant. Dans un article publié en 1995 dans la revue « Faces », intitulé « Le rêve du réel, de la maison du Sahara aux écoles du Cameroun« , Abram écrivait : « lorsque l’on analyse, avec le recul du temps, la production de l’agence LWD », l’on est surpris d’une part par la qualité de ses réalisations, qui semblent avoir échappée à l’architecture « statistique » des « trente glorieuses » et d’autre part, par l’inventivité d’une démarche, dont le caractère global tranche par rapport aux pratiques ordinaire de l’architecture. »
 
« Fuir la reconstruction… »
Lorsque Lagneau et Weill crée LWD, « Fuir la reconstruction  » jugée passéiste, était le maître mot. Et on comprend mieux pourquoi en 1948, le continent africain leur sembla plus prometteur d’avenir. Même si de nombreux projets n’allaient pas voir le jour, les besoins en matière d’urbanisme et d’architecture ouvraient de nouvelles perspectives. Il y eut le port minéralier de Boké en Guinée (1955), la cité Mbaye Taiba au Sénégal (1957), la mine du Sandgarejdi en Guinée (1957), le plan de développement d’Abidjan (1959), un programme industriel visant à la production économique de 600 classes pour le Cameroun (1964) conception qui donna lieu à une production en série d’éléments standards en aluminium…..
Travaux
Repartons de la France. Le musée des Beaux Arts du Havre (1952 à 1962) auquel Jean Dimitrijevic participa activement est une réalisation majeure, car elle se positionne volontairement en rupture avec le passé et l’attitude de Perret. La conception était une boîte faite de verre, d’acier et d’aluminium, dans laquelle le contrôle de la lumière, la flexibilité des espaces, constituaient un nouveau vocabulaire architectural, ceci sans dogmatisme vis à vis des matériaux. Ce bâtiment auquel collabora, Jean Prouvé, fut inauguré par A.Malraux et reçu le prix Reynolds en 1962.
Avec le musée des Beaux Arts du Havre j’ai pu découvrir les débuts d’une longue collaboration entre les architectes, Jean Prouvé et Charlotte Perriand. Et l’hommage rendu ce jour, est l’occasion de re-souligner (avec d’autres, je pense à l’article du Monde de Frédéric Edelmann daté de Janvier 98 intitulé « Grandeur et Misères des trente glorieuses »), que l’histoire contemporaine de l’architecture n’a surement pas encore tout révélé de cette manière de concevoir à plusieurs mains.
En afrique, en 1953, le premier projet LWD fut l’hôtel de France à Conakry pour lequel les architectes réalisèrent un bâtiment à ossature béton avec façades préfabriquées revêtues de granit, avec une conception des chambres qui favorisait la ventilation naturelle. Dans cette opération, Prouvé fut en charge de la façade de la salle de restaurant composée de paravents qui pivotent et s’ouvrent sur la mer ; et Charlotte Perriand de retour du japon, mit à profit son expérience des climats humides, dans les aménagements intérieurs des chambres.
La maison du Sahara, prototype de maison réalisée en Mars 1958 à Paris au salon des arts ménagers, est une collaboration Lagneau, Weill, Dimitrijevic, Prouvé et Perriand. LWD propose ici une réponse moderne à la question de l’habitat sous conditions climatiques extrêmes en appliquant le principe de dissociation que Nelson avait expérimenté dans la maison suspendue. Partant de la conception architecturale basée sur l’utilisation des containers, ils conçoivent des cabines climatisées pour la journée, ouvertes la nuit sur le désert, et le tout abrité par une grande tente qui crée l’espace de vie central reprenant les modes de vie des bédouins. Ce projet fut suivi en 1958 par des études sur l’habitat tropical en Guinée, et donna lieu à un rapport qui proposait des solutions concrètes pour l’habitat en zone tropicale humide.
Autre réalisation majeure pour Dimitrijevic, c’est la cité d’habitations et d’équipements du Cansado en Mauritanie que nous ne ferons qu’évoquer compte tenu de son ampleur. Toute l’aventure commence avec la société anonyme des mines de fer de Mauritanie qui est crée en 1952 pour exploiter les gisements de minerai de fer et qui nécessite le développement de Port Etienne. Conçue pour 5.000 habitants elle devait évoluer et recevoir à terme 350.000 habitants. Les architectes résumerons ainsi l’opération africaine : « 1957. Mer, sable, vent, ciel, et le problème angoissant de faire vivre des hommes dans une solitude ingrate ».
Si l’on achève en France ce tour d’horizon, on soulignera également, en 1958-59, une opération de 260 logements « les Buffets » à Fontenay aux Roses, avec Jean Perrottet, alors jeune architecte chez LWD.
Ce bâtiment recevra le prix de l’équerre d’argent en 1960, prix remis pour la première fois par la revue l’Architecture Française.
En 1971-87, les marines de Cogolin (Var) marquent la carrière de JD. Avec les marinas ce sont des architectures d’un type nouveau qui participent au développement du tourisme et des loisirs dans notre pays.
Entre 1972 et 1981, année de son inauguration, le centre de commerces et de loisirs « les quatre temps » à la Défense, signé ATEA, Lagneau et Dimitrijevic, participe de l’élaboration de l’image même du quartier de la Défense et symbolise aussi la naissance d’un nouveau type de centre commercial, qui se veut à la fois être un lieu de passage et de loisirs. Les « 4 temps », c’est aussi quelques chiffres marquants, 300.000 m2 de planchers, 180 boutiques, 17 restaurants, 5.400 places de parking, ouvrage auxquels contribuèrent encore une fois artistes, architectes et ingénieurs, graphistes, coloristes.
Jean Dimitrijevic réalisa également l’hôtel du département de l’Essonne en complément de la préfecture réalisée par Guy Lagneau en 1980.
En 1999, en présence de Mme Lagneau et de Michel Weill, JD assista à l’exposition « Lagneau-Weill-Dimitrijevic » qui fut organisée par Joseph Abram à l’école d’architecture de Nancy, elle révélait pour la première fois la brillante carrière de cette agence. Jean Dimitrijevic serait surement heureux d’apprendre qu’une publication est en cours pour la fin de l’année…
Je concluerais en empruntant ces paroles à Joseph Abram : : « Par leur volonté de prendre en compte la complexité de la commande, sans jamais déconnecter l’architecture des problèmes d’urbanisme et d’aménagement, par leur maîtrise globale des opérations de construction– de la formulation des programmes à l’organisation de la production, voire à la formation des agents de la production, par leur confiance quasi-éthique dans les réponses rationnelles et lisibles, Lagneau, Weill, Dimitrijevic ont offert, durant quatre décennies, sans manifestes, ni déclarations tapageuses, une véritable alternative pour l’architecture.  »
Cet hommage n’aurait pu s’effectuer sans la collaboration de sa famille, que je remercie ce soir pour l’aide qu’elle a bien voulu m’accordée, ce fut également pour moi l’occasion d’une rencontre avec les architectes Renzo Moro et Jean Perrottet que je remercie pour leurs précieux témoignages.
Florence Lipsky