Hommage à Robert VASSAS
par Alain Charles Perrault
Je suis très honoré et ému d’être reçu aujourd’hui au sein de l’Académie d’Architecture. Cette architecture qui est toute ma vie, comme elle le fut pour mon grand ancien, Robert Vassas. Et avant de faire l’éloge de l’œuvre qui fut sienne, je veux parler de notre cher métier.
L’architecture peut recevoir mille définitions, mais celle que m’as soufflé Benjamin Mouton est l’une que je préfère :
« L’architecture, c’est l’art qu’a inventé l’homme pour se protéger avec élégance des forces de la nature. »
La connaissance de l’histoire de l’architecture et des monuments qui la jalonnent permet de mieux comprendre en quoi consiste la démarche de l’architecte, qui est restée la même au fil des siècles malgré l’évolution de notre civilisation et des techniques.
Si, au sein de cette recherche architecturale, le métier d’architecte des Monuments Historiques apparaît comme un particularisme, il participe à l’évolution de l’architecture par le regard singulier qu’il porte sur elle.
Il apprend à voir, à comprendre l’architecture.
Le corps des architectes des monuments historiques apparaît comme cohérent et peu même sembler conformiste puisqu’il est composé d’architectes liés par les mêmes intérêts intellectuels, la même forme de talents et des connaissances identiques.
Pourtant il est très surprenant de voir à quel point ce métier est vivant, évolutif et composé de personnalités diverses dont les parcours sont souvent hors du commun.
L’évolution de notre métier au sein des monuments historiques intègre aujourd’hui des édifices récents, de la fin du XIX° et de tout le XX° siècle et nous porte non seulement à étudier les œuvres mais aussi le travail et la personnalité des architectes qui les ont conçus comme de ceux qui les restaurent.
Cela offre à ce métier une nouvelle dimension car la vie de ces architectes et leur réalisation sont le reflet de leur époque, de leurs origines et de la vision qu’ils possèdent de l’avenir.
Une approche humaniste des hommes qui réalisent, conservent un édifice, offre une dimension d’amour, de bonheur, un regard différent sur l’acte de construire ou de restaurer.
L’étude d’un monument est formidablement enrichie si l’on connaît bien la personnalité de son auteur, comme j ‘ai eu la chance de pouvoir l’expérimenter avec Charles Garnier.
J’aimerais donc évoquer l’œuvre de Robert Vassas à travers la vie du maître.
Il exerça son métier d’architecte dans la seconde moitié du XX° siècle qui connut, je cite dans le désordre, la reconstruction de la France de l’après-guerre, le développement de la ville et de l’urbanisme, la création du Ministère de la Culture, l’évolution du rôle et de la signification du patrimoine et de sa valeur.
Robert Vassas fut l’un des artisans de cette évolution et de la modification très profonde du métier de l’Architecte des Monuments Historiques.
Il passa le concours d’Architecte en Chef en 1948.
Mais tout d’abord comment devint-il architecte des Monuments historiques ?
L’histoire raconte que c’est par réaction à la lecture d’un article paru dans les années 30 qui disait pis que pendre sur le service des monuments historiques et de ses architectes.
Robert Vassas ne pouvait accepter de voir le Patrimoine de son pays livré à de tels sauvages et décida d’intégrer ce corps pour le transformer, y apporter ses compétences et faire en sorte de mieux traiter le patrimoine en lui donnant sa science et sa sagesse.
Cependant, à l’issue de ses études d’architecture, dont il est diplômé par le gouvernement en 1937, la guerre vient modifier le cours de sa vie.
Robert Vassas est blessé, fait prisonnier et, malgré cet épisode dramatique, vivra alors une histoire extraordinaire.
Plusieurs architectes, passionnés d’histoire de l’architecture, se sont retrouvés en captivité et un atelier d’architecture avait été organisé dans l’oflag l7A, sous la direction d’André Lapeyre, chef du bureau des monuments historiques, demeuré volontairement en captivité pour rester avec ses camarades accompagnés de Jean Hubert, pour quelque temps.
Plus tard, Robert Vassas fut heureux de retrouver dans l’ouvrage « l’univers des formes » portant sur le haut Moyen Age le relevé d’Aix la Chapelle qu’il avait dressé alors qu’il était dans ce camp.
Jean Hubert évoque cette époque lorsqu’il lui dédicacera « Les peintures murales de
Vic » :
« En témoignage de mon affection et en souvenir reconnaissant du clocher qu’il érigea au milieu de la cité des captifs, en architecte et non en géomètre. »
« A mes très chers camarades et élèves de cours d’histoire et d’architecture de l’oflag 17A . »
Il précisait :
« La présente étude est pour beaucoup le fruit de recherches poursuivies en commun à l’oflag 17 A, en 1940 et 1941, avec les studieux élèves du cours d’histoire de l’architecture, les lieutenants Biscop, Josselin, Jouven, Lablaude, Styn Popper et Vassas.
C’est à son retour de captivité que Robert Vassas passe le concours d’architecte en chef en présentant comme relevé le projet de l’église Notre-Dame de Comniinges dans les Hautes Pyrénées.
Son intérêt pour les mathématiques et une approche scientifique du monument, sa profonde complicité avec les archéologues et les historiens de l’art comme Jean Hubert tout d’abord, Françis Salet, Louis Grodeki, Alain Erlande-Brandenbourg, sa rigueur, son caractère font de lui « l’honnête homme » du XX° siècle que se doit d’ être 1 ‘Architecte des Monuments Historiques d’aujourd’hui.
En 1948, c’était un choix courageux de ne pas s’orienter vers les chemins plus lucratifs de la construction contemporaine pour s’engager dans le sentier étroit des monuments historiques.
Robert Vassas est chargé des départements de la Sarthe, de la Mayenne puis de l’Yonne, des cinquième et sixième arrondissements de Paris et du Val d’Oise.
En 1952, l’administration des Beaux Arts lui confia la restauration de l’hôtel de Sully dont il exposa le sujet au Congrès International des architectes et techniciens des Monuments Historiques en 1957.
Nous connaissons tous ce monument, presque mitoyen à l’Académie d’Architecture, et c’est pour moi un bonheur renouvelé que de parcourir cet hôtel
entre la rue Saint Paul et la place des Vosges
dans ces lieux chargés d’esprit et qui présentent une sorte d’évidence architecturale.
Lorsque l’on examine les vues de cet édifice avant restauration qui offraient alors sur la rue une façade continue et fermée, l’on apprécie l’œuvre de Robert Vassas.
En réalité, tout en tenant compte des contraintes techniques et du programme auquel l’on doit répondre,
il existe de multiples approches et plusieurs visions du résultat que l’on souhaite obtenir du monument à restaurer.
C’est ainsi que souvent les restaurations peuvent être datées par le simple examen visuel.
La réussite, à mon avis, est obtenue lorsque le monument retrouve son évidence, les altérations conservées ou effacées sont d’une importance secondaire, le monument est là, dans son état originel, le plus juste possible, mais surtout dans son intemporalité, dans sa présence.
Le processus de restauration n’est pas lisible,
il est comme effacé par la force du monument et rien ne vient le dater.
L’hôtel de Sully possède ces qualités comme l’ont aussi les restaurations menées par Robert Vassas sur les monuments dont il eut la charge tels que le château de Maison Laffitte, l’ancienne abbaye Saint Rémi de Reims et, en tant qu’architecte des Bâtiments Civils, l’abbaye Saint Vincent du Mans
et le théâtre de l’Odéon dont j ‘ai moi-même aujourd’hui la responsabilité.
Mais ce résultat, qui semble facile, est en réalité le fruit d’un énorme travail de réflexion, d’analyse et de conception.
C’est aussi l’expression d’une grande complicité respectueuse entre le travail de l’architecte, des entreprises et des compagnons, et l’aboutissement de l’effort conjoint de l’équipe formée par le Maître d’ouvrage et le Maître d’œuvre.
C’est enfin la connaissance des savoir-faire afin de mieux les pratiquer et les transmettre.
Robert Vassas, au sein de son agence de la rue de Bellechasse qu’il partageait avec Sylvain Stym Popper travaillait dans cet esprit.
Je cite Pierre Colas, Architecte en Chef des Monuments Historiques honoraire qui l’a bien connu :
« C’était un homme attentif, respectueux des opinions, discret mais sachant être ferme dans le jugement, car il ne tolérait pas que l’on prenne des libertés sur les œuvres léguées par l’Histoire, il abhorrait l’ostentation…
Il conservait de l’enseignement de ses maîtres, comme Jean Hubert, un sentiment quasi religieux de l’architecture ancienne et notamment celle du haut moyen âge et aborda avec un certain sens du sacré des monuments comme Vézelay, la crypte de Saint Germain d’Auxerre, l’abbatiale de Saint Germain des Prés.
La révélation de la chapelle Saint Symphorien le passionnait ».
Fin de citation.
Robert VASSAS