Hôtel de Chaulnes
L’hôtel de Chaulnes de 1607 à aujourd’hui
Un lieu d’exception
La Place des Vosges est considérée comme la plus ancienne place urbaine de Paris, née en 1605 de la volonté de Henri IV, et située à l’emplacement de l’ancien hôtel des Tournelles et d’une partie du prieuré de Sainte Catherine du Val des Écoliers. Elle est alors appelée « place Royale », et ne devient « place des Vosges » que depuis la Révolution, en reconnaissance au département des Vosges qui le premier s’acquitta de l’impôt, et de l’envoi des premiers volontaires nationaux.
Sur un plan sensiblement carré de 140m de côté, conçu par Metezeaux, 36 pavillons sont projetés avec des façades identiques, répondant à un cahier des charges rigoureux établi par édit royal : architectures ordonnancées, chacune de quatre travées, galerie de circulation couverte, surmontée de deux étages et comble percé de lucarnes. L’architecture « tricolore » de briques, pierres calcaires pour chaînages bandeaux et encadrement, et hautes toitures d’ardoises, caractéristique du début du XVII° siècle, est due à Jacques Androuët du Cerceau et Claude Chastillon. L’aménagement des intérieurs et des arrières était laissé à la discrétion des propriétaires. Sous les Pavillon du Roi et de la Reine, respectivement au centre des côtés nord et sud de la place, entrent les rues de Béarn et de Birague, croisant au nord la rue de la mule.
Achevée en 1612, elle fut inaugurée lors d’un grand carrousel donné à l’occasion des fiançailles de Louis XIII et d’Anne d’Autriche. La conservation de sa remarquable homogénéité est assurée par le classement des façades au titre des monuments historiques (1920 et 1954-57), et par le règlement du Secteur Sauvegardé du Marais (1960).
L’Hôtel majeur
Le 10 mars 1607, le roi fait concession des terrains de la majeure partie du côté occidental de la place à Pierre Fougeu d’Escures, qui va aussitôt revendre une partie. A l’actuel n°9, il fait construire pour son usage deux pavillons jumeaux, qui sont achevés en 1611 : « sur 8 arcades formant promenoir, ils dressent deux étages carrés et un étage mansardé avec une ordonnance de pilastres, chaînages et lucarnes en pierre, remplissages en briques couvertes d’un enduit rouge, et d’immenses toits d’ardoise. Par rapport aux pavillons voisins, ils témoignent de leur unité de conception et d’un dessin particulièrement soigné, notamment dans les lucarnes et les œils-de-bœuf. Du côté de la cour, la séparation des toitures des deux pavillons fut dissimulée par un massif couronné d’un fronton courbe abritant deux lucarnes jumelées … encadré par deux lucarnes à frontons isolés. Deux courtes ailes aujourd’hui disparues s’avançaient à droite et à gauche… la cour elle-même étant fermée vers l’ouest par l’ancien mur crénelé du prieuré de Sainte Catherine » (2). Fougeu d’Escure vécut dans cette grande demeure avec sa famille jusqu‘à sa mort en 1641.
En 1644, l’hôtel fut vendu par ses héritiers à Honoré Albert, duc de Chaulnes, maréchal de France, frère du futur connétable de Luynes, et devint aussitôt l’une des plus fastueuses demeures de Paris, richement meublée. Un jardin fut créé à l’ouest dans le prolongement de la cour, et à la place de la petite aile sud, une aile plus vaste fut construite « aux lucarnes d’un style un peu tardif, et terminée par un petit pavillon en saillie couvert en calotte qui est la chapelle ». Estimé pour son élégance, il attirait l’attention de la noblesse et du Roi qui lui fit l’honneur d’y venir quelques fois.
En 1655, la veuve du premier duc, décédé en 1649, céda l’hôtel à son fils, Charles d’Albert d’Ailly, duc de Chaulnes, lieutenant général de Bretagne en 1669, et gouverneur en 1670, qui mena pour le compte de Louis XIV d’habiles missions diplomatiques auprès de la cour papale à Rome. « La nouvelle génération de la famille de Chaulnes allait mener plus grand train que la première », entretenant 21 chevaux, 6 carrosses, et 2 chaises à porteur. L’hôtel devenu trop petit, Jules Hardouin-Mansart fut appelé en 1675 pour remplacer l’aile nord, par une aile neuve en pierre de taille sur deux étages, composée de 5 travées de part et d’autre d’un avant-corps de 3 travées à arcades et fronton contenant un grand escalier.
L’appartement privé du Duc était à l’étage, à l’ouest, cependant qu’à l’est se trouvait le grand appartement de réception.
Une Grande salle de 3 travées – actuelle antichambre – « chambre à portraits », et en enfilade sur la place, « grande chambre », « chambre de madame », et enfin la galerie à 4 fenêtres sur la place et miroirs, aménagée par Jules Hardouin-Mansart, et contenant « une profusion d’objets d’art, vases de marbre, pendules en écaille… ».
L’aile en retour, au sud, construite par le premier duc, comprenait une salle à manger, une seconde salle – où se trouve le plafond à poutres peintes– et la chapelle couverte d’un plafond à calotte. Les réceptions qui y étaient données ont laissé de grands souvenirs chez les contemporains, et Madame de Sévigné l’évoqua à plusieurs reprises... Le Duc mourut en 1698. Saint Simon en a laissé un portrait fameux : « c’était, sous la corpulence, l’épaisseur, la pesanteur, la physionomie d’un bœuf, l’esprit le plus délié, le plus délicat, le plus souple, le plus adroit à prendre et à pousser ses avantages avec tout l’agrément et la finesse possible… il accabloit à voir, surprenoit à entendre, et charmoit à vivre et à traiter avec luy ».
Au décès de la duchesse en 1699, l’hôtel fut légué à son neveu, duc de Chevreuse, gendre de Colbert, mais qui ne l’habita pas. Il le vendit en 1700 à Germain Larcher, qui le céda l’année suivante au président Jean-Aymard de Nicolaï, marquis de Goussainville, dont la famille détint la première présidence de la chambre des Comptes de Paris sans discontinuer de 1506 à 1791.
Elle conserva l’hôtel jusqu’en 1822, sans en changer les dispositions générales, mais effectuant vers 1788, des décors exceptionnels, transformant l’ancienne « chambre des portraits » en « salle à manger » ornée de superbes faux-marbres peints, et l’ancienne « chambre de la maréchale », en un salon d’un rare raffinement, l’actuel « salon des gypseries ».
Arrêtés en 1793, place des Vosges, le père et le fils furent guillotinés en juillet 1794. L’hôtel confisqué comme bien national, fut restitué en 1795 à la famille Nicolaï qui ne l’occupa plus et le vendit en 1822 à Moreau, négociant. Dans le jardin fut construit un magasin ; les étages furent loués en appartements. Pour desservir les chambres et galerie du premier étage donnant sur la place, un couloir fut adossé sur la façade arrière, et pour les étages supérieurs, un petit escalier fut percé dans l’aile sud. Parmi les locataires du bel étage, se sont succédées des personnalités célèbres - la tragédienne Rachel en 1857- ou la « New York school of fine and applied art » jusqu’en 1940. En 1914, l’élargissement de la rue de Turenne coûta la démolition d’une travée ouest de l’aile nord, oeuvre de Jules Hardouin-Mansart.
En 1952, l’appartement principal et quelques dépendances au rez-de-chaussée furent acquis par Jacques Périer de Fréal, qui le céda en 1967 à l’Académie d’Architecture, présidée alors par Henry Bernard.
Une restauration et des aménagements exemplaires
L’aménagement du nouveau siège de l’Académie d’Architecture a posé comme toute restauration de bâtiments anciens, des problèmes délicats... Le principal souci était de réaliser d’emblée l’ensemble des travaux en restituant dans toute la mesure du possible les volumes et les éléments décoratifs… » antérieurs aux transformations des XIXème et XXème, et d’y installer les activités de l’Académie d’Architecture.
Les travaux furent confiés à Pierre Laborde, architecte et membre de l’Académie d’Architecture, avec l’assistance de Marc Saltet, Architecte en Chef des Bâtiments civils et palais nationaux, et Bernard Vitry, Architecte en Chef des Monuments historiques en charge du IVème arrondissement de Paris. Les recherches documentaires furent menées par Jean-Pierre Babelon, Conservateur du Musée de l’Histoire de France, membre de l’Institut et membre associé de l’Académie d’Architecture.
Les premiers mois furent consacrés aux sondages et aux recherches historiques et documentaires ; le projet défini et validé, les travaux se sont déroulés en quatre phases, de 1967 à 1969 :
- les démolitions des cloisonnements et aménagements parasites, petits appartements, sanitaires, afin de retrouver les volumes majeurs du grand appartement ;
- les travaux de consolidation de planchers et maçonneries, notamment de la grande galerie ;
- les travaux de restauration des sols plafonds, menuiseries, décors.
- les équipements nécessaires au fonctionnement de l’Académie d’Architecture.
Une révélation architecturale
Le grand escalier d’honneur logé dans l’aile nord de Jules Hardouin-Mansart mène au premier étage à la grande antichambre qui a conservé et retrouvé son très sobre décor XVIIème : corniches, lambris d’appui et dallage à cabochons, autrefois éclairée par sept lanternes suspendues au plafond.
À la suite, le « salon carré » ou « salon des marbres », ancienne chambre des portraits, dont le lambris d’appui Louis XIV est encore en place, montre un surprenant décor de 1788 de faux marbres et brèches à dominante bleu-vert, et le plafond à caisson et ciel feint, retrouvé sous d’épaisses couches de peinture et restauré ; son parquet à panneaux dit « Versailles » a été restitué.
Le « salon d’angle », ancienne « grande chambre » appelée aussi « chambre de Rachel », montre une très belle corniche à têtes féminines - voisine de celle du Grand Trianon - et les quatre dessus de portes, ornés de peintures du XVIIème. représentant « les éléments », restaurées et rentoilées. Les lambris d’appui ainsi que la cheminée de marbre vert foncé étaient restés en place ; le parquet à panneaux a été également restitué.
L’ancienne chambre de « la Maréchale » au XVIIème. dont l’ancienne corniche est conservée, fut redécorée vers 1788 par Aymard-Charles de Nicolaï, avec ces exceptionnels et rares décors de gypseries d’esprit néoclassique, de vases, chutes de grappes de fleurs, allégories en dessus de portes, miraculeusement conservés sur les murs, les portes et le plafond, complétés par quatre grands miroirs au mercure et cheminée de marbre blanc. Le parquet fut lui aussi restitué.
La « grande Salle », autrefois galerie du duc de Chaulnes aménagée par Jules Hardouin-Mansart, était celle qui avait le plus souffert des aménagements successifs, subdivisée de cloisons et d’un entresol. Après dégagement, le grand volume de 14m par 7,80m, à quatre fenêtres sur la place, comparable à ceux des grands hôtels du XVIIème, a réapparu. L’ancienne corniche à modillons et motifs de torches, arcs, carquois, canons, couronnes de lauriers… emblèmes en référence à la carrière militaire du duc de Chaulnes, a été retrouvée en grande partie, restaurée et restituée par moulages dans les parties manquantes. Les boiseries au revers des trois trumeaux de la façade et leurs trois miroirs ont été restaurées et reposées. D’importants travaux de renforcements ont été nécessaires en sous face des solives du plafond par des fers en X, et une dalle de béton au sol. L’Académie a fait de cette ancienne galerie, la salle de réunions et de conférences, qu’occupe au sud la bibliothèque ancienne de plus de 1 300 ouvrages.
A l’extrémité de l’aile sud, la « salle haute » dite aussi « bureau de la présidence » montre un rare exemple complet de plafond à poutres et solives peintes de « trophées d’armes, génies embouchant des trompettes guerrières et de couronnes ducales » au chiffre CD de Chaulnes-D’Ailly, du nom du premier duc de Chaulnes et de Charlotte-Eugénie d’Ailly, sa femme, et daté de 1645. Aucun autre décor ancien ne subsistant, la salle fut traitée sobrement. Quant à la chapelle en saillie, autrefois couverte en calotte, il ne subsiste du décor
intérieur qu’une sobre corniche.
Un siège fonctionnel pour l’académie d’architecture
C’est dans l’aile sud, où les décors avaient disparu, que les équipements fonctionnels ont trouvé leur place sans heurt : secrétariat, petit office, sanitaires, d’un décor de grande sobriété et modernité discrète et élégante ; et au rez-de-chaussée, la « salle de la Conservation » dont aucun décor ne subsiste, est le siège des travaux de conservation, de traitement, numérisation et de consultation des archives de la Société Centrale des Architectes (1840-1954), et de l’Académie d’Architecture.
Un résultat emblématique
Grace à ces travaux de restauration d’une grande fidélité, l’ancien grand appartement a retrouvé ses volumes et sa cohérence, et sans chercher à retrouver un état historique unique, a conservé et marié avec élégance les décors les plus exceptionnels du milieu du XVIIème à la fin du XVIIIème.
Les aménagements réalisés en 1969 pour le siège de l’Académie d’Architecture sont contemporains des premières réflexions internationales sur la réutilisation moderne et la mise en valeur des Monuments Historiques : ils signent ici un exemple significatif de cette époque ambitieuse.
Ainsi, par ce projet très soigneusement étudié et réalisé, alliant conservation, restauration et recomposition, l’Académie d’Architecture a réalisé un ensemble homogène d’une grande dignité, mis au service de sa vocation pour l’Architecture.
C’est pour ses qualités historiques et architecturales que l’ensemble de l’ancien grand appartement a été inscrit à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques le 2 février 2022, puis classé Monument Historique en 2024.